introduction à un phénomène de grande ampleur : The wow effect !
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introduction à un phénomène de grande ampleur : The wow effect !
MODULE 1
Tout au long de notre année de travail collaboratif nous avons pu débattre et échanger à partir de tout le matériel récupéré lors des conférences, rencontres, visites et tables rondes auxquelles nous avons pu participer. Ce qui nous a permis d’identifier au travers d’une analyse fine des contenus de l’ensemble des restitutions les faits et arguments saillants en lien avec notre controverse. Une façon de lui donner suffisamment de relief et de mettre en valeur les acteurs clés rencontrés. Pour comprendre la genèse d’une controverse, il est toujours intéressant de revenir à l’origine de notre aventure profondément liée à la typologie de notre groupe multiculturel en termes d’idées, de vécu, de sensibilité et de vision des choses autour d’une thème commun « L’impact du numérique » dans l’évolution du monde économique et du travail et ce au travers d’un programme concocté par l’INTEFP. En ce qui nous concerne, nous nous concentrerons sur les données, arguments et divers questionnements directement liés à la mutation des modèles économiques et laisserons le soin aux autres groupes de récupérer les informations liés à leur propre controverse. Nous vous proposons de reprendre les différentes étapes de notre aventure commune, module par module car nous pensons y déceler une forme de chronologie induite par la teneur et le contenu de ceux-ci … de la découverte du phénomène à la prise de conscience collective.
Tenu au siège de l'INTEFP à Marcy l'Etoile, près de Lyon, le premier module, dont l’angle d’approche était axé sur les controverses, a permis d’appréhender de multiples facettes du numérique et de son impact non par l’affirmation de vérités intangibles mais par une approche contrastée des perceptions et des représentations parfois communément admises.
De la vision réductrice de l’utilisateur du smartphone et de l’ordinateur dans son quotidien à l’ampleur de l’impact du numérique sur les conditions et la qualité de vie au travail, sur les équilibres géopolitiques, sur l’impérieuse nécessité d’accompagner les individus dans la compréhension et la maîtrise de l’outil ainsi que sur les dynamiques de marché et les modèles économiques, l’espace à investir et à investiguer est grand.
Alors, ces premiers travaux ont posé un socle d’appropriation du sujet commun à tous les auditeurs. Pour autant de nombreuses questions restent posées et de nombreux enjeux restent à appréhender dans cet univers où rapidité et l'immédiateté sont les maîtres mots. Quelle place de l’Europe dans ce monde globalisé du numérique (arbitrage entre pays développés et en voie de développement) ? Comment accompagner le monde du travail, tant les entreprises que les salariés, pour répondre au défi du numérique, de l’automatisation et de la robotisation ? Comment anticiper et avoir une démarche proactive face au numérique plutôt que de se laisser porter voire de le subir ?
LA « BRUTALITÉ DU NUMÉRIQUE »
Le numérique participe des exigences « augmentées » du travail contemporain. Dans le monde du travail et de l’entreprise où le numérique est considéré comme porteur de promesses, les exigences imposées par les usages génèrent des conséquences sur le travail des salariés mais aussi sur la capacité des individus à suivre le rythme et le changement. La qualité de vie au travail doit faire face à des défis pour répondre aux exigences du travail.
Le numérique « porteur de promesses » prend en compte les besoins et la satisfaction du client, augmente la productivité, assure la traçabilité, permet le retour d’expérience et l’amélioration continue de la qualité, prévient les aléas, transforme le travail vers plus de coopération, d’échanges et de partenariats, et réduit la pénibilité.
Mais les usages du numérique créent des menaces par l’intensification du travail (du fait des interactions entre collègues, clients, fournisseurs), la fragmentation du travail (avec une succession d’interruptions et de tâches à accomplir), la densification du travail (avec l’incorporation de tâches auparavant assurées par d’autres) et l’intensification du travail (plus de geste, plus de cadence), la plateformisation et la standardisation du travail, l’individualisation, la servicialisation et la numérisation, la dislocation spatio-temporelle (fin de l’unité de temps et de lieu recompose le collectif du travail, qui devient distendu et éclaté, recomposition des collectifs de travail, télétravail), l’automatisation, la dématérialisation et la déconnexion (transfiguration de la présence au travail, mails et droit à la déconnexion).
Les programmes contrôlent le travail en amont de la production. L’intelligence artificielle créée de l’injonction à la collaboration sans que les conditions de la collaboration soient travaillées. Elle s’oppose à l’intelligence collective qui, elle, s’appuie sur l’expérience des travailleurs. Dans ces circonstances, les alternatives organisationnelles et le management du changement sont des enjeux qui nécessitent un « art de faire ».
Alors, les défis pour la qualité de vie au travail sont majeurs :
• Réguler les formes d’engagement au travail pour répondre à l’exigence de mobilisation, et la promesse du numérique d’une disponibilité accrue
• Animer des espaces de discussion sur les usages, les cadres d’usages de technologies numériques en lien avec la qualité de vie au travail pour répondre à l’exigence d’explicitation et la promesse du numérique en terme de traçabilité et de transparence
• Prendre soin de l’écosystème informationnel et relationnel dans un souci de justice organisationnelle pour répondre à l’exigence d’innovation et la promesse du numérique en terme de collaboration.
Ces transformations liées à l’usage du numérique soulèvent bien évidemment des questions. Comment appréhender ces défis en prenant en compte les salariés et la nécessité de les former ? Comment vaincre la résistance au changement par l’association de la mémoire et la tradition avec les nouvelles pratiques mises en place ? Sont soulevées également les questions des organisations du travail et le delta « travail réel/travail prescrit », la nécessité de faire confiance aux hommes et aux femmes (pour le télétravail par exemple), la capacité d’agir des travailleurs, le respect de l’individu et la création d’un collectif de travail et enfin l’évolution du rôle des représentants du personnel (CHSCT notamment).
LA FRAGILITÉ DU NUMÉRIQUE ET L'AVENIR DU TRAVAIL DANS LA DISRUPTION
Le terme de disruption est utilisé :
• En économie sociale pour les phénomènes de brusque accélération, les bouleversements apportés notamment par le numérique, au sein de la société et qui entraînent une perte de repères chez les individus
• En économie lorsqu’une entreprise introduit un nouveau produit ou service, radicalement innovant, qui bouleverse la stratégie de l’entreprise et casse les codes du marché en créant une rupture, un nouveau marché, un nouveau modèle économique ou de nouveaux comportements chez les utilisateurs.
L’avenir du travail dans la disruption est un sujet travaillé par Bernard Stiegler, enseignant en philosophie des sociétés industrielles, qui questionne la place de l’individu et celle des organisations sociales qui sont prescriptrices et font le lien entre les instruments endo-somatiques (qui appartiennent génétiquement à l’individu depuis sa naissance par exemple les jambes...) et exo-somatiques (qui n’appartiennent pas génétiquement à l’individu depuis sa naissance par exemple un marteau, une pelle...) de l’être humain.
En effet, l’être humain étant inachevé par nature doit en permanence compenser ses handicaps en produisant et utilisant des artefacts tels que les lunettes, le langage, un abri... mais aussi des mécanismes comme par exemple le dialogue social. Il a constamment eu besoin de se doter de systèmes de prédation et de défense, parvenant aujourd’hui à éliminer tous ses prédateurs à l’exception des bactéries. De plus, l’être humain se caractérise par un ensemble d’automatismes biologiques, physiologiques, psychiques mais aussi sociaux.
Comment l’être humain peut-il envisager son avenir dans la disruption ? Jusqu’à récemment, il n’a été confronté qu’à la métastabilité c’est-à-dire le fait de vivre dans un relatif déséquilibre permanent, fondé sur la recherche ininterrompue de solutions à des problèmes donnés.
Concernant les artefacts, l’être humain en a parfois créé de dangereux et doit vivre avec eux tout en pensant à son avenir. Le numérique en est-il un ?
Il faut distinguer le numérique de l’informatique. L’informatique est la condition de possibilité du numérique c’est-à-dire tout ce qui a un rapport avec l’ordinateur alors que le numérique est ce qui permet la communication et l’existence d’outils en lien avec l’ordinateur (appareil photo, automobile, réfrigérateur...). Le numérique est une technologie qui repose sur des techniques d’automatisation à savoir la mise en œuvre d’algorithmes qui permet de mettre en relation des acteurs de niveaux différents et qui constitue un nouveau code mettant en relation tous les autres codes de la vie humaine y compris le code du travail. Le numérique conduit alors progressivement au développement de »systèmes d’experts » qui reposent sur ces codes.
Dans ces circonstances, la disruption est un processus rendu possible par le numérique qui permet de prendre de vitesse toutes les organisations sociales (vitesse de 200 millions de mètres/seconde dans les mémoires centrales des ordinateurs contre 60 mètres/seconde pour l’influx nerveux humain). Pour certains, il s’agit d’aller plus vite que tous les autres pour acquérir un avantage stratégique décisif. Ainsi Amazon veut devenir le seul et unique commerçant mondial, Facebook induit la disruption des organisations sociales et l'Uberisation devient une guerre économique sans foi ni loi.
Selon certaines études (quelques fois contestées), le numérique engendre une probabilité de destruction de 50% des emplois notamment par l’automatisation et la robotisation. L’automatisation n’est pas nouvelle. L’industrie a déjà vécu plusieurs vagues d’automatisation telles que la 1ère révolution industrielle (conduisant à la prolétarisation des travailleurs), le taylorisme ou le fordisme (engendrant la conversion du prolétariat en classe moyenne appuyée sur un principe de redistribution de valeur permettant aux travailleurs d’acheter les produits qu’ils fabriquent).
Les gains de productivité ainsi générés ont permis une énorme accumulation de capital. Avec l’avènement du modèle de « la croissance » qui découle de cette évolution, l’approche est devenue plus macroéconomique avec une dé-corrélation entre capitalisme industriel et capitalisme financier (engendrant la délocalisation de sites de production) ainsi qu’un processus de « pseudo-solvabilisation » des marchés conduisant aux « subprimes » et à la crise de 2008. Depuis, les difficultés demeurent mais sont masquées par la disruption.
Le disruptif peut être considéré comme le dernier stade de l’anthropocène (terme de chronologie géologique proposé pour caractériser l'époque de l'histoire de la Terre qui a débuté lorsque les activités humaines ont eu un impact global significatif sur l'écosystème terrestre, il y a environ 250 ans). Sa résultante est une augmentation du taux d’entropie (dynamique d’expansion et de désorganisation qui conduit à la disparition) qui casse le modèle vertueux des acquis civilisationnels et qui constitue un réel péril. Pour Bernard Stiegler, il faut encourager le développement de nouveaux équilibres autour d’une économie de la néguentropie (facteur d'organisation des systèmes physiques, et éventuellement sociaux et humains, qui s'oppose à la tendance naturelle à la désorganisation : l'entropie).
De nombreux éléments doivent être regardés dans ce cadre :
• Chacun de nous est singulier et le système veut gommer cette singularité
• La croissance actuelle n’est pas la vraie croissance car elle détruit les ressources
• Il faut déterminer ce qu’est un savoir (un savoir n’est pas une compétence)
• Les modes de production et la production de valeur ...la valeur d’usage s’use alors que la valeur du savoir se développe
• Est automatisable tout ce qui est prolétarisé
• La redistribution des gains de productivité autrement que par l’emploi
• Les indicateurs de développement humain ne dépendent pas du niveau de vie dû à la prolétarisation mais des savoirs (savoir-faire, savoir-être, savoirs académiques) et de la résilience (capacité d'un individu à surmonter les moments douloureux de l'existence et à se développer, en dépit de l'adversité de l'individu).
Oser les expérimentations avec le territoire comme terrain propice ? C’est le sens du projet porté par Bernard Stiegler en Seine Saint Denis à savoir, essayer de transformer le territoire en 10 ans au travers de 4 objectifs :
• La mise en place d’un laboratoire de real smart city (ville intelligente)
• Une expérimentation territoriale pour créer un revenu contributif, revenu d’en- capacitation, revenu qui va permettre de créer de la néguentropie par la construction de savoirs
• L’exploration de modalités d’une démocratie renouvelée au travers de l’accompagnement des populations par des étudiants travaillant en transversalité avec d’autres chercheurs
• Le développement de nouveaux réseaux pour renforcer la traçabilité de « ce qui n’est pas calculable »
LA GRANDE ÉCOLE DU NUMÉRIQUE
Le paradoxe de l’objectif de la Grande école du Numérique :
• Répondre aux marchés de besoins de compétences avec le développement du numérique
• Favoriser l’insertion professionnelle du public désocialisé et non-qualifié par le numérique qui a rejeté l’école classique (public des jeunes décrocheurs, des femmes et des QPV)
L’expérimentation de la labellisation et de l’aide au démarrage :
• Favoriser l’expérimentation sans fil conducteur du modèle idéal
• Des formations gratuites pour l’apprenant ouverte à tous et favorisant l’innovation pédagogique
• Le pragmatisme comme méthode d’appui (182 formations subventionnées dont 50% de codeurs)
• Une réflexion auprès des publics fragiles, reconversion de salariés
• Des moyens limités en rapport avec l’objectif
• Un manque de perspective de là ou nous voulons aller
Les questions à régler :
• Validation d’un ou de plusieurs modèles économiques pour assurer la pérennité de la formation
• Définir le public auquel on s’adresse, trouver des passerelles intergénérationnelles
• Assurer un maillage territorial de proximité
•Cibler les métiers en tension que les Écoles du numérique doit atteindre
• Cerner la pédagogie adaptée au public et aux compétences à atteindre
• Favoriser l’implication des entreprises dans la gestion des stages
• Construire un mécanisme de financement pérenne de ces formations.
• Travailler à la certification des formations labellisée
• Mesurer la sortie en emploi à l’issue de la formation
LES MARCHÉS NUMÉRIQUES : DYNAMIQUE DE MARCHÉ ET FRAGILITÉ DES MODÈLES ÉCONOMIQUES
Une économie basée sur la gratuité.
Alain Rallet nous a présenté les fondements des marchés numériques. Sa présentation repose sur deux points forts : d’une part, les règles de fonctionnement de ce marché visent à rendre profitable une économie basée sur la gratuité des échanges et, d’autres part, elles sont fixées par un petit nombre de grands opérateurs.
Cette économie s’est installée, développée et a généré l’adhésion de millions d’individus très rapidement en faisant de la gratuité son commerce de services, d’accès à des biens culturels ou encore au e-commerce. Le consommateur en adhérant à ce marché a adopté le mode de consommation gratuit. La technique ne permettant pas d’exclure quelqu’un d’un bien qu’il n’a pas acheté, l’idée d’un retour au paiement et au droit de propriété a été abandonnée. Ainsi la lutte contre le craquage (fait de passer outre des protections qui garantissaient l'accès payant à la propriété, sans connotation de nuisance) a été remplacée par un mode de gestion basée sur le nombre de clients où les grands opérateurs jouent le rôle central. Ce sont en effet eux qui organisent un marché où le produit est dès lors l’individu client sous des formes variées.
Ainsi, le produit de vente peut être l’attention des individus, des données personnelles, ou l’individu lui-même comme dans le cas de sites de rencontre. Les clients de cette forme de produits sont variés, allant des annonceurs publicitaires aux collecteurs de données.
Les points développés :
• L’enjeu de l’équilibre des coûts : paradoxe, les coûts marginaux sont trop faibles pour permettre la rentabilité des coûts fixes car ils se traduisent par un prix nul. La production des produits numériques se fait avec des coûts fixes très importants, par exemple pour produire un logiciel, un film ou une encyclopédie et des coûts de reproduction très bas. Paradoxalement, les coûts de reproduction ne permettent pas de couvrir les coûts fixes par la reproduction massive. En effet, étant quasi nuls, ils ne permettent pas de fixer un juste prix et, au contraire, incitent au non-paiement. Dès lors, qui paie le coût fixe ? A noter que dans un contexte où le gagnant absorbe « tout » le marché le risque est important.
• Les modes de régulation rendent la gratuité incontournable. La régulation se faisant sur la base des effets de réseaux, l’utilité d’un produit dépend du nombre de consommateurs. Le nombre de clients critiques pour que l’attrait du produit perdure correspond également à un seuil d’accélération du développement du marché. Dès lors l’atteinte de ce seuil est le seul objectif, ce qui se traduit par une incitation par la gratuité : « Commencez à donner vos produits si vous voulez les vendre ».
• Qui paie dans cette économie gratuite pour le consommateur? Les sources indirectes de revenu sont : la publicité, la revente de données personnelles, les abonnements, les frais de transaction, les ventes d’objets virtuels et les levées de fonds. Dans le cas de la publicité, la plateforme fait payer l’audience à des annonceurs. L’abonnement repose sur un marché à deux faces qui consiste à mettre en relation deux groupes d’utilisateurs sur la base d’une facturation asymétrique pour maximiser le nombre d’échanges. La facturation la plus basse est ainsi attribuée à celui des deux groupes qui crée l’audience comme les femmes pour un site de rencontre. Le mode de financement par la revente des données personnelles (DP) est très lucratif et en expansion. Les DP sont utilisées dans la publicité ciblée, par les services innovants basés sur la géolocalisation, la consommation électrique, les plateformes de matching, les objets connectés ... Ce marché des DP fait référence à trois marchés individus/collecteurs, collecteurs/courtiers, courtiers/annonceurs.
• Une discussion tournée sur le problème de la collecte des DP invisibles plutôt que sur la gratuité apparente. La discussion a mis en évidence les problèmes d’une collecte invisible des données personnelles et dont l’usage pose de nombreux problèmes éthiques, de liberté ou autres. Le croisement de données personnelles avec l’open data pourrait ouvrir une boîte de pandore (remarque : point de vue contestable : l’open data rend accessible à tous des données et des informations, pour que celles- ci ne soient pas juste aux mains des entreprises. L’open data entend redonner du pouvoir d’agir). Des stratégies politiques et nationales pourraient se nourrir des DP. La stratégie Chinoise d’échapper à l’emprise américaine tranche sur ce point avec la passivité européenne où est née le Web.
Conclusion : Quand c’est gratuit, c’est toi le produit ! (et c’est toi le travailleur)
NUMÉRIQUE, TRAVAIL ET EMPLOI : UNE CARTOGRAPHIE DES CONTROVERSES
Le Conseil national du numérique permet aux pouvoirs publics d’accompagner la transformation numérique de la France. Il est composé de trente membres bénévoles (chercheurs, entrepreneurs...), nommés par le président de la République. Les modes traditionnels de régulation sont largement remis en cause par la vitesse de la disruption. Il faut penser rapidement, ce qui est un enjeu de souveraineté.
Le Conseil a publié le rapport « ambition numérique », faisant suite à une large consultation citoyenne et à l’origine de la loi qui vient d’être adoptée. Il développe un programme sur la transformation numérique des PME, en raison de la faible part du e-commerce (12%) et du e-export (5%) en France. Il se penche également sur la transformation de l’enseignement supérieur et de la recherche. Il a aussi publié un rapport sur les mutations du travail remis en janvier 2016, exposant neuf controverses et formulant certaines recommandations. Le numérique fait exploser la prospective sur le travail, les discours divergent, comment peut-on prendre en compte l’incertitude ?
Réflexion sur l’automatisation et la destruction des emplois
Peut-on mesurer le nombre d’emplois supprimés par le numérique ? Les conclusions sont contradictoires.
Selon certains, le risque est le chômage technologique massif (Frey-Osborn, Oxford, 2013). 47% des emplois aux USA seraient automatisables. Mais on ne prend pas en compte les créations d’emplois possibles. Ceci marque un parfait déterminisme technologique, sans prise en compte de l’action des pouvoirs publics, comme la baisse du coût du travail par exemple...
Selon l’OCDE (2016), seuls 9% des emplois sont menacés. France Stratégie a réalisé une étude en 2016, en partant des analyses sur les conditions de travail. Les salariés doivent-ils répondre immédiatement à une demande extérieure ? Doivent-ils appliquer une consigne ? On en arrive à une estimation de la part d’emplois automatisables de l’ordre de 15%, mais avec un taux de 25% dans l’industrie. On peut mener une réflexion dynamique sur les emplois non automatisables, qui augmentent fortement en France, y compris dans des secteurs où les emplois sont fortement automatisables. Les emplois de services sont moins automatisables que les autres. Mais il y a aussi une transformation du contenu des emplois liée à la tertiarisation et à la désindustrialisation. Le fait qu’un emploi soit automatisable ne signifie pas qu’il sera remplacé par un robot (ex., la transformation des postes de caisse dans les supermarchés pose un problème d’acceptabilité par les clients d’une part, et d’autre part nécessite une forte médiation). On peut noter qu’il y a deux fois moins de robots dans l’industrie française que dans l’industrie allemande.
Sur ce sujet, la conclusion à tirer est décevante : on ne sait pas très bien quel est l’avenir. Il y a une incapacité de la science économique à prévoir les évolutions technologiques, à déterminer un critère de ce qui est ou non automatisable (qu’est ce qui est répétitif ?). Le discours économique ne fonctionne pas.
Les figures de discours sur la manière de faire face à l’incertitude portent sur les questions suivantes :
• Quel est le statut de l’époque ? Sommes-nous dans une radicale nouveauté ? Arrivons-nous aux limites, avec la stagnation de la croissance ?
• Comment fait-on pour préparer les individus à l’incertitude ? Formation, inclusion, médiation, flexibilisation des parcours. On doit modifier l’organisation du travail. Revenu contributif. Peer to peer. Wikipédia (micro contributions volontaires)
Comment le travail est-il modifié ?
Des mécanismes d’automatisation pénètrent des emplois qui ne sont pas remplacés (ex. des architectes avec Bim), avec un impact sur les tâches, sur leurs ordres. L’externalisation de certaines fonctions est possible. Cela peut bouleverser complètement la chaîne de valeurs.
Que veut dire « Uberisation » du travail et de l’économie? Plusieurs définitions sont possibles :
• La disruption par l’innovation technologique, la remise en cause des situations pour le mieux, moins cher ;
• La « plateformisation » de l’économie, des marchés à plusieurs versants (gratuit, publicité) ; de nouveaux modèles de production (externalisation d’une partie de la R&D et de la production, ex. développeurs pour l’AppStore) ;
• L’intermédiation : un point d’entrée unique, une bonne orientation, ce qui permet de mieux faire fonctionner le marché (ex. Blablacar) ;
• La concentration du pouvoir économique, en raison du besoin d’investissement massif ;
• L’externalisation sophistiquée, par l’externalisation des responsabilités et du risque, générant une économie de la débrouille, avec une course au moins disant social.
Sur la différence de situation entre les Etats-Unis et l’Europe, on peut se demander s’il n’existe pas un aller-retour entre le lien où se produit de la science-fiction et le lieu où se produit la technologie. En Europe : on peut considérer qu’il y a un vide d’imaginaire. Or la production de la prospection nécessite l’imaginaire. Pour la prospective publique, il existe un problème de connexion entre l’Etat et les chercheurs. En Chine et en Inde, l’innovation technologique est basée sur les essais « test and learn » et non sur l’excellence technologique.
Il faudrait sans doute une unification et une protection du marché numérique européen.
LE PARADOXE GÉOGRAPHIQUE DU NUMÉRIQUE
« Le processus du développement technologique est comparable à la construction d’une cathédrale, chaque nouvel arrivant laisse un bloc au sommet des fondations antérieures, de sorte que chacun peut dire qu’il a construit la cathédrale.... ». Paul Baran (1990), un des fondateurs de l’Internet.
Ce paradoxe prend d’abord sens dans le fait qu’il est basé sur une concentration organisationnelle (ex. : salle de marchés) et une dispersion géographique (télétravail).
Mais avant d’aller plus loin essayons de définir le numérique. On dit numérique une information qui se présente sous forme de nombres associés à une indication de la grandeur à laquelle ils s'appliquent, permettant les calculs, les statistiques, la vérification des modèles mathématiques.
L’économie numérique serait donc une suite de chiffres qui associés offriraient des possibilités quasi infinies. Ces algorithmes évoluent de façon exponentielle et beaucoup plus vite que l’économie « dite » classique, ce qui offre de grandes opportunités mais fait craindre un réel danger pour celle-ci (Maurice Lévy: The digital tsunami blurs the lines”) autrement dit l’économie numérique a brouillé les frontières. Le dernier exemple frappant en France est Orange qui devient actionnaire principal (65%) de Groupama Banque. Un acteur qui à priori sort de son cœur de métier et vient explorer un terrain où on ne l’attendait pas.
La question se pose alors de comment trouver sa place face au géant plus communément appelé GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), en effet ces géants se retrouvent dans toutes les strates de l’économie : Amazon possède sa propre flotte aérienne, ses propres camions de transport. Google prend part dans des industries comme l’automobile, Uber, la robotique.... Dès lors on se rend compte que l’économie numérique bouleverse notre vision de l’entreprise telle que nous l’avons toujours connue, si bien que socialement l’impact est très brutal dans certains secteurs.
Derrière une image cool, décontractée et même parfois branchée que les start-up véhiculent se cache une vraie industrie avec des investissements lourds comme c’est le cas sur le marchés des micro-processeurs ou des robotiques...
Comment sera le 21ème Siècle ?
Il est probable qu’il y ait un brouillage "spatio-temporel" des grandes catégories structurantes
• De la société
• De la territorialité
• Du travail
• De la production Quelles conséquences sur la géographie de l’économie ?
• Mondialisation
• « The squeezed Middle » (« ...vous n’êtes ni ceci ni cela. Vous n’avez plus droit à la protection destinée aux démunis et vous êtes très loin des privilèges des mieux nantis. Vous appartenez à la masse anonyme qui, malgré sa taille, n’intéresse personne. »)
• Fin du synchronisme social
• Opportunités
• Fin de la géographie ?
Mondialisation : Une mondialisation de l’économie avec des rapprochements qu’on pensait improbables comme Air BnB et Accord. «The squeezed Middle » : Un enjeu de protection des données à caractère personnel important et une difficulté à légiférer sur le sujet.
Fin du synchronisme social : Les emplois créés ne se substitueront pas aux emplois détruits, ni en terme de niveau de compétence requis, de position sur la chaîne de valeur, ou d e répartition géographique.
Opportunités : Le numérique offre un rêve, celui de rompre l’isolement de certains territoires, celui de faciliter le télétravail. Un monde sans frontière où tout est possible ?
Comment expliquer le paradoxe fondamental : Economie numérique = Métropolisation ?
Les grandes agglomérations sont intéressantes dans le développement de ce marché car elles regroupent en un même lieu un grand nombre de travailleurs, fournisseurs, prestataires...
Elles disposent par ailleurs d’une main d’œuvre qualifiée et de grandes écoles, ainsi que d’un vivier de RH qualifié.
La métropole est un lieu d’échange de savoir tacite, peu codifiable.
Cette concentration permet un contact plus facile entre les acteurs du marché et la construction d’une relation de confiance (F2F).
Enfin cette concentration/métropolisation permet de faire du Buzz et est un vrai accélérateur de Sérendipité.
Les espaces de co-working accéléreraient-ils la sérendipité ?
C’est en tout cas ce que bon nombre de grandes entreprises ont l’air de penser en investissant massivement dans ces lieux d’incubations :
• Numa
• Hall Freyssinet PARIS
• Microsoft Ventures
L’émergence de l’Inde comme géant mondial des services numériques L’Inde a attiré tous les géants mondiaux des services informatiques et du BPO, tout en générant ses propres champions :
• TCS (groupe TATA) : 300 000 personnes
• Wipro: 170 000
• Infosys: 190 000
Les leaders mondiaux «historiques» ont leurs plus gros effectifs en Inde :
• Cognizant : 150 000 sur233 000
• IBM : 150 000 sur370 000
• Capgemini : 60 000 sur 180 000 (avant acquisition de I Gate – 25 000 salariés en Inde)
«Le centre de gravité de Capgemini est déplacé en Inde pour la production des programmes, mais pas pour les relations avec les clients ou la stratégie ", Aruna Jayanthi, CEO Capgemini India, Les Echos, 27/04/2015 Exemple d’une géographie ubiquitaire : les centres de contact
Un des plus gros secteurs d’activité de l’économie mondiale ;
• 3 millions d’emplois aux Etats-Unis
• 700 000 au Royaume Uni (4 % de la main d’œuvre !)
• 400 000 aux Philippines
• 350 000 en Inde
• 300 000 en France –plus que l’automobile !
• 70 000 emplois au Maroc
La main d’œuvre représente 70 % des coûts opérationnels, il est dès lors tentant de délocaliser la production dans des pays à bas coût salariaux et c’est ce qui se passe dans les faits.
« LE JEU DE LA TRANSITION »:TRANSITION DES MODALITÉS DE DIALOGUE DANS L'ENTREPRISE ET LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE
Il focalise les visions du groupe sur les possibles évolutions, à l’avenir, des modalités de dialogue social en France. Il s’agira de voir si, au milieu ou à la fin de la session INTEFP (et les élections présidentielles passées), les visions sur cette question auront changé.
QUE RETENIR DE CE PREMIER MODULE ?
>> Gouvernance et géopolitique
Quelle place de l’Europe dans ce monde globalisé du numérique (arbitrage entre pays développés et en voie de développement) ? Différence entre les politiques indiennes en matière d’investissement dans les infrastructures / le développement de la geek économie / d’accompagnement des usages et celles de l’Europe, de la France ?
>> Géographie
Est-ce que le mouvement de métropolisation / centralisation de l’activité dans les centres urbains que l’on connaît depuis 30 ans pourrait s’inverser à l’avenir ? Laisser place à un nouvel aménagement du territoire ? Cf. Télétravail qui croît > Que montre l’Inde en la matière ?
>> Emploi
La destruction d’emploi par l’automatisation et la robotisation : inéluctable ? Ou phénomène de déplacement des emplois vers les pays émergents (cf. chiffres sur les délocalisations en Inde)
>> Dialogue
Nos modalités de dialogue correspondent à un monde du travail d’il y a trente ans. Quelles seront les nouvelles formes de protection, de solidarité, de mobilisation, de dialogue ?
>> Transformation du travail
Quelles nouvelle formes de régulation inventer pour un travail devenu plus abstrait - dématérialisé / qui s’est intensifié / qui s’est individualisé / qui est plus discontinu (temps partiel / parcours professionnel entrecoupé) ?
>> E-inclusion
Espace public numérique / Espace culturel numérique / FabLab / Simplon / GEN... comment faire pour qu’une politique publique (en matière d’inclusion, de formation, d’accompagnement des usages) n’en écrase pas une autre tous les 2 ans ? (et laisse les précédentes sans soutien)
>> Economie
Quelles nouvelles formes d’imposition, de taxation de l’économie numérique ? Economie des plateformes, entreprises data (databrokers) D’un côté marchandisation de l’ensemble des pans de vie et d’activités (par les datas, les objets connectés) de l’autre une place croissante faite à la gratuité, aux biens communs : une nouvelle polarité se dessine ? Services publics et biens communs : deux manières différentes de préserver / prendre soin / partager
>> Culturel
Quels seront les nouveaux acteurs de la fabrique des imaginaires, des nouvelles utopies ?
SELON CERTAINES ÉTUDES, LE NUMÉRIQUE ENGENDRE UNE PROBABILITÉ DE DESTRUCTION DE 50% DES EMPLOIS NOTAMMENT PAR L'AUTOMATISATION ET LA ROBOTISATION
LE DISRUPTIF PEUT ÊTRE CONSIDÉRÉ COMME LE DERNIER STADE DE L'ANTHROPOCÈNE (terme de chronologie géologique proposé pour caractériser l'époque de l'histoire de la Terre qui a débuté lorsque les activités humaines ont eu un impact global significatif sur l'écosystème terrestre il y a environ 250 ans)
LES MODES DE RÉGULATION RENDENT LA GRATUITÉ INCONTOURNABLE. LA RÉGULATION SE FAISANT SUR LA BASE DES EFFETS DE RÉSEAUX, L'UTILITÉ D'UN PRODUIT DÉPEND DU NOMBRE DE CONSOMMATEURS
QUAND C'EST GRATUIT C'EST TOI LE PRODUIT (ET C'EST TOI LE TRAVAILLEUR !)
PEUT-ON MESURER LE NOMBRE D'EMPLOIS SUPPRIMÉS PAR LE NUMÉRIQUE ? LA CONCLUSION À TIRER EST ASSEZ DÉCEVANTE : ON NE SAIT PAS TRÈS BIEN QUEL SERA L'AVENIR
EN CHINE ET EN INDE, L'INNOVATION TECHNOLOGIQUE EST BASÉE SUR LES ESSAIS "TEST AND LEARN" ET NON SUR L'EXCELLENCE TECHNOLOGIQUE
LA MAIN-D'OEUVRE REPRÉSENTE 70% DES COÛTS OPÉRATIONNELS, IL EST DÈS LORS TENTANT DE DÉLOCALISER LA PRODUCTION DANS DES PAYS À BAS COÛT SALARIAUX ET C'EST CE QUI SE PASSE DANS LES FAITS
« Le processus du développement technologique est comparable à la construction d’une cathédrale, chaque nouvel arrivant laisse un bloc au sommet des fondations antérieures, de sorte que chacun peut dire qu’il a construit la cathédrale.... »
Paul Baran (1990), un des fondateurs de l’Internet.
«Le centre de gravité de Capgemini est déplacé en Inde pour la production des programmes, mais pas pour les relations avec les clients ou la stratégie»
Aruna Jayanthi, CEO Capgemini India
RESSOURCES
SYNTHÈSE
• Présentation de la 35e session nationale
• Programme du module
• Prise de notes
• Restitution du Module 1
INTERVENTIONS
• «Les marchés numériques : dynamiques de marché et fragilité des modèles économiques», Alain Rallet
• «Association des auditeurs de l'INTEFP», Carole Sifflet-Curie
• «La grande école du numérique», Daniel Ratier
• «Exigences du travail, promesses du numérique et défis pour la qualité de vie au travail», Vincent Mandinaud
• «Qu'est-ce que l'Inde ?», Virginie Chasles
• «L'économie numérique, une géographie paradoxale», Bruno Moriset
À PROPOS
CRÉDITS
MENTIONS LÉGALES